Gideon Kiefer - Interview
Vous avez commencé à travailler la peinture il y a quelques années et, auparavant, vous ne produisiez que des dessins. Comment gérez-vous ces différents supports ?
J’ai pratiqué le médium du dessin dès que j’ai su tenir un crayon et, depuis, je n’ai jamais arrêté. C’est tellement naturel pour moi, que c’est aussi comme un passe-temps… J’ai d’ailleurs commencé par apprendre la gravure et la lithographie, grâce à ma tante qui les pratiquait. C'est souvent le cas pour les gens qui aiment dessiner, mais aujourd’hui je ne les pratique plus car ils ont comme « une petite cuisine » nécessaire, induisant une distance entre le résultat final et le processus de fabrication. J’aime le dessin parce qu’il est direct. Vous tracez une ligne et cela peut être très beau et très vite achevé. La franchise est identique avec la peinture.
Il me semble avoir lu que vous avez très tôt reçu des compliments pour vos dessins et étiez même un virtuose en ce domaine, dès l’enfance…
C’est vrai que l’on m’encourageait beaucoup… mais quand je regarde mes dessins d’alors, je pense que je n’étais pas si bon.... On peut appeler cela virtuosité ou le plaisir que l’on a à pratiquer un domaine dans lequel on progresse quand on le pratique beaucoup.
Quant à vos sujets, ils sont très divers. Une partie porte sur le paysage, et vous évoquez aussi le changement climatique, mais également sur la vie quotidienne ou l’histoire de l’art. Comment procédez-vous pour chaque œuvre ?
Je voulais juste préciser que je suis un artiste professionnel depuis 2008 et auparavant, j'étais illustrateur pour des magazines et des journaux en Belgique et en Hollande. Quand j’étudiais, je faisais aussi des dessins de bandes dessinées. Donc dans mon esprit, j’ai toujours une histoire ou une ligne rouge, dont le thème principal est d’essayer de revenir aux souvenirs d'enfance. J'aime l'idée qu’ils puissent être fantasmés, améliorés ou transformés par le dessin. Ils sont très importants pour moi car suis un peu nostalgique.
Utilisez-vous des photographies ou employez-vous uniquement votre mémoire ?
Cela dépend et je vais parfois chez mes parents si je souhaite retrouver un endroit précis, dont ils auraient encore la photographie. Quand il fait beau, je peux aussi y retourner et peindre en plein air. Mais le paysage n’est pas nécessairement le thème en soi, il s’agit davantage du souvenir de ce qui s'est passé dans l'endroit que je dessine. J’utilise également des références à l'histoire de l'art qui a toujours été présente pour moi, car mon grand-père avait un poste assez important en politique et était invité aux vernissages d’expositions. Il en rapportait des catalogues et, passant beaucoup de temps chez mes grands-parents, je consultais cette fabuleuse bibliothèque. Cette histoire de l'art dans mon travail est aussi en souvenir de mon grand-père et de mon enfance.
Quelle partie de l'histoire de l'art préférez-vous ?
Quand j’étais petit garçon et peut-être comme beaucoup d’enfant, j’aimais le surréalisme et j'y suis resté un peu attaché. C’est toujours une forme d'art très intrigante pour moi. J’étais également au contact des paysages classiques, notamment les Flamands du 17ème siècle que mon grand-père collectionnait, même si à l’époque, je ne les appréciais pas tellement…
Votre travail affiche d’ailleurs une sorte de romantisme et je pensais également à ce courant ou au symbolisme en regardant vos œuvres…
Oui également… j’ai beaucoup de respect pour l'histoire de la peinture, c'est pourquoi j'ai mis si longtemps à peindre. J’ai toujours l’impression que le Caravage et Diego Velázquez - ou encore Caspar David Friedrich qui fait partie de la famille - regardent par-dessus mes épaules. En parallèle, je me rassure parfois en me disant : c’est seulement de la peinture… mais je suis toujours intrigué par la manière dont les pièces sont réalisées. J’admire aussi le néo-surréalisme, avec des artistes tels que Neo Rauch.
Avez-vous toujours voulu vous situer dans la figuration ?
J'ai comme une bataille dans ma tête, car j'essaie de la tuer par ailleurs…. Comme je veux produire du contenu, je peux être davantage conceptuel ou, quand je dessine une belle main académique classique, la détruire en y traçant des lignes ou en ajoutant des graffitis. Je pense que cette combinaison fonctionne bien pour moi.
En quoi, alors, parlez-vous de changement climatique ?
Je n'affiche pas beaucoup de critiques sociales, mais je pense que le changement climatique est l'un des principaux sujets de notre temps. Je ne suis pas militant et veux produire des belles choses, mais ce message est fort présent dans mon œuvre. La plupart du temps, je parle de cette attention au climat par des textes ou fais des représentations plus directes comme un navire qui coule. Même si ce n'est qu'un titre, je fais toujours quelque chose ayant trait au climat, car je suis vraiment préoccupé par la façon dont nous traitons la terre en ce moment.
Vous inscrivez-vous également dans des problématiques sociétales ou politiques ?
Non, je ne m'occupe pas de politique et le problème dépasse toute politique… J'ai vraiment le sentiment que cela va mal finir… Beaucoup d’artistes, même si ce n'est pas le cas de tous, se demandent pourquoi ils créent des œuvres. Est-ce pour laisser une trace ? Ou voulons-nous devenir immortels à travers nos œuvres d'art ? Je pense que ce qui se passe dans mon travail se révélera un jour évident…
D’ailleurs, vous favorisez un mélange entre réalité et fantaisie… et parfois, perdez le spectateur entre le passé, le présent ou le futur… Jouez-vous avec cette idée que nous ne savons pas exactement où nous sommes dans vos œuvres ?
Oui, car l’on ne peut pas capturer le passé, n'est-ce pas ? Vous devez donc le fabriquer et c'est ce que j'aime dans les souvenirs qui peuvent devenir fantastiques. Je crée des atmosphères sans êtres humains et il est vrai que l’on ne sait pas où l’on est, ni à quelle époque. En Allemand, on nomme « Unheimlich » ce qui est à la fois étrange et familier… Cela pas forcément très agréable à regarder, mais fascinant… J'aime beaucoup cela.
Vous employez également une figure masquée que l’on a pu retrouver dans un tableau de Michaël Borremans…
Ce masque provient d’une série télévisée belge que je regardais quand j’étais petit, comme lui probablement, qui s’appelait THE Cat. Telle une figure de Batman, c’était une forme de justicier masqué qui luttait contre une usine qui déversait des déchets dans la nature, dès les années 1970…. Avec mes amis voisins, nous avions ces masques et j'ai utilisé ce souvenir d'enfance comme un lien, qui me permet par ailleurs de parler encore du changement climatique.
Mais vous semblez aussi jouer avec des images sorties de l'inconscient. Etes-vous d’accord ?
Oui bien sûr, d’autant plus que j’ai un trouble du sommeil qui fait que j’ai une vie nocturne très excitante…. Plus excitante que ma vie.
Peut-on le voir dans vos œuvres ?
Parfois, oui, mais il ne faut pas non plus s’avérer ennuyeux, donc je peux utiliser certains cauchemars seulement comme point de départ. Ils confèrent une atmosphère, avec un sentiment de danger imminent.
Dans de précédents dessins, vous vous étiez également représenté…
Oui, j’ai fait quelques autoportraits, disons que c'était le point de départ de ma vie professionnelle d'artiste. C’est aussi lié à un accident que j’ai eu et qui m’a fait prendre conscience de la vie et de la mort. Je date mes œuvres à partir de jour de ma naissance en tant qu'artiste, comme un agenda personnel.
De nombreux oiseaux sont également figurés dans votre travail...
Premièrement, les oiseaux viennent de là où je vivais auparavant. Mais la principale raison pour laquelle je les ai utilisés dans de nombreuses œuvres, notamment dans des constructions qui pourraient être des scènes pour un théâtre imaginaire ou un opéra, est qu’ils sont les descendants des dinosaures. Ils sont restés très proches de ces animaux et sont toujours parmi nous. Ils nous rappellent ainsi l'apocalypse et se révèlent des avertissements sur le changement climatique. Ils nous préviennent…
Vous êtes-vous récemment ouverts à d’autres techniques ?
Pour moi, la définition du dessin est bien plus large qu’auparavant. J’ai très vite recouvert d’aquarelles mes dessins, donc d’une certaine manière, j’ai toujours peint. Mais ils peuvent aussi n’être constitués que de dessins, d’encres de Chine ou de feutres. Au début, j’étais plutôt dans des petits formats, puis j’ai accepté que le dessin était bien une œuvre en soi et que je puisse me développer. Je travaille aussi sur des couvertures de livres.
En parlant de livres, y a-t-il des auteurs que vous aimez et mettez-vous en exergue une forme de narration ?
Je ne lis pas beaucoup de littérature, mais plutôt de la non-fiction, même si j'ai toujours été très impressionné par Paul Auster. Dans mes propres œuvres, je pense beaucoup aux titres et aux textes, car j’écris souvent. Je peux m’inspirer de citations existantes ou de mes « journaux de rêves nocturnes », mais je souhaite toujours écrire magnifiquement... et raconter de belles histoires.
Marie Maertens
Février 2025
Adresse
Fondation d’Art Contemporain
Daniel et Florence Guerlain
88 boulevard Malesherbes
75008 PARIS
Contacts
Tel : +33 6 44 13 99 14
Email : fdg2@wanadoo.fr