L’an dernier, vous aviez dévolu votre prix à des artistes du mouve¬ment de l’Art brut ou outsider. Cela vous a-t-il apporté un regard différent sur le dessin ?

Cette sélection nous a confortés dans le fait que ce médium est à l’ori¬gine de toute oeuvre et de toute création. C’est le langage et, parfois, le principal moyen d’expression des plasticiens que nous avions choisis, témoignant d’une sensibilité particulièrement accrue. Mais nous n’avons pas poursuivi dans ce sens, car notre désir n’est pas de collectionner une spécificité, quelle qu’elle soit. Or l’Art brut nécessite d’y rentrer complètement et de plonger dans un univers à part. Donc après cette expérience très enrichissante, nous avons repris nos recherches envers tous types d’artistes.

Pouvez-vous donc nous présenter les trois plasticiens nommés cette année, à savoir Lamia Joreige, Amir Nave et Christos Venetis ?

Nous avons connu Lamia Joreige au Liban, il y a de nombreuses an¬nées, et avons continué à regarder son travail. Ce qui nous touche est la beauté de son dessin, mêlé aux écrits et à l’histoire de son pays, dans une gymnastique intellectuelle fort intéressante. Amir Nave nous a immédiatement séduits par une forme, non pas de violence, mais d’affir¬mation d’un univers très personnel. Les couleurs vives s’accompagnent d’un trait assuré et d’un délié sur le papier sans limite. Quant à Christos Venetis, il nous a beaucoup émus par des dessins composés dans des couvertures de livres déchirés, qui nous remémorent les autodafés de la Seconde Guerre mondiale… apportant un contraste entre un fini très soigné et un fond endommagé.

Que cela soit par la métaphore ou plus directement, ces artistes parlent de l’histoire, voire de la géopolitique. Est-ce un hasard ou un choix délibéré ?

Peut-être est-ce en lien avec les temps que nous vivons, mais nous avons été, avant tout, très sensibles aux facteurs historiques qui se dégagent de ces oeuvres. Les trois pays où vivent ces artistes, le Liban, Israël et la Grèce, remontent aux origines et parlent de notre humanité en général.

Par ailleurs, on pourra prochainement voir une partie de votre donation au Centre Pompidou, dans une salle qui vous y est, à présent, dédiée. Son accrochage portera sur l’humour…

Oui, car ce thème nous est apparu indispensable à l’heure actuelle… et succède à celui sur le corps, avant que l’abstraction ne soit abordée à partir d’octobre 2024. Nous avons également été invités par le musée de l’Hospice Saint-Roch, d’Issoudun, pour une exposition rétrospective sur l’ensemble de notre histoire de collectionneurs, des années 1980 à aujourd’hui, qui y sera présentée durant l’été 2024.

         Textes Marie Maertens